La rose bleue
La rose bleue
IL ÉTAIT UNE FOIS une jeune princesse en âge de se marier. C’était l’avis du roi son père. Ce n’était pas du tout le sien. Aimer en secret, espérer, palpiter, souffrir, certes oui. Mais épouser? Holà, du calme. En bref, elle n’était pas pressée. L’idée lui vint donc de poser une intenable condition à tout prétendant à la bague.
– Je donnerai mon cœur, dit-elle, et mon âme, et mon corps aussi à qui viendra les demander une rose bleue à la main.
– Bleue? bafouilla le roi, l’œil rond. A-t-on jamais vu rose bleue, même dans mes jardins parfaits?
Il faut dire qu’en ces temps-là on ignorait tout des chimies qui feront bientôt nos campagnes couleur d’argent fluorescent.
– Bleue. Aussi bleue que le vitrail de la chapelle de ma mère.
La princesse, le menton haut, fit virevolter ses jupons, tourna les talons et partit. Cette nuit-là, sous son drap rose, elle rêva d’un vieux roi cruel qui la menaçait d’un supplice extrêmement déconcertant, mais qui perdait bientôt la face avant d’implorer son pardon. Elle s’en réveilla plus fringante qu’elle ne l’avait jamais été.
Ils vinrent dix, ils vinrent cent, chacun avec sa fleur teintée, bleuie à l’encre, artificielle, en pierre précieuse, en papier. Elle les refusa hautement.
– Une vraie rose vraiment bleue, voilà ce que je veux, rien d’autre, répondit-elle aux soupirants. Remportez donc vos simulacres, vous n’êtes pas dignes de moi.
– Mais enfin, balbutiait le roi, aussi rouge qu’un étranglé, l’œil suppliant, la bouche molle.
Il ne put jamais dire plus avant qu’elle n’ait claqué la porte.
Or vint un jour un jeune fou avec une aubépine blanche qu’il avait cueillie, en passant, sous les murailles du palais. Il était beau comme l’amant qu’imaginent les jeunes filles, lumière éteinte, dans leur lit, guère riche, « mais peu importe », pensa la princesse éblouie. Il lui tendit sa fleur pâlotte. Elle la prit, la huma longtemps, sourit tout doux et dit au roi :
– Voilà enfin ce que j’appelle, mon cher père, une rose bleue.
– Mais elle est blanche, mon enfant, gémit le monarque effaré.
Il prit l’assistance à témoin.
– Moi, je la vois bleue, dit sa fille.
Et tout le monde la vit bleue, même le curé de la noce.