Si cons
De mensonges en manipulations, de complaisances en lâchetés, notre intelligence collective se délite jour après jour. Et pendant ce temps-là les zélateurs d’une modernité triomphante célèbrent stupidement l’avènement d’un « monde nouveau » assujetti à la proximité et à l’immédiat, résigné à l’imprécision, soumis au prévisible, abandonné au consensus mou, séduit par le repli communautaire et dominé par la peur de l’autre.
Sommes-nous pour autant victimes d’un complot ourdi par des forces obscures décidées à saper les fondements de notre civilisation ? Non ! Non ! Rien de tout cela ! Ne cherchons pas ailleurs qu’en nous-mêmes les responsables de cette décadence intellectuelle. Nous avons oublié que, si nous devons résister à la passivité et à la bêtise, c’est certes pour nous-mêmes mais surtout pour ceux qui nous survivront. Et c’est donc bien notre peur de regarder plus loin que nous (pas plus haut, plus loin !) qui nous a rendus si complaisants. Tous coupables d’avoir négligé notre premier devoir : transmettre à nos enfants, par l’exemple des combats que nous aurons menés pour le vrai et le beau, le désir de construire un monde meilleur que celui que nous leur aurons laissé.
Nous sommes devenus cons parce que nous avons renoncé à cultiver notre intelligence commune comme on cultive un champ pour nourrir les siens. Oubliés le questionnement ferme, le raisonnement rigoureux, la réfutation exigeante ; toutes activités tenues aujourd’hui pour ringardes et terriblement ennuyeuses, remplacées par le plaisir immédiat, l’imprécision et la lâcheté. Parents, enseignants, politiques, nous sommes devenus incapables de défendre les valeurs culturelles, sociales et morales qui font notre cohérence et nous leur avons préféré les apparences identitaires, filles de l’entre-soi. Ne nous trompons pas d’ennemi ! Ce n’est certainement pas la diversité culturelle que nous devons combattre, c’est le danger d’une véritable « consomption culturelle » que nous devons affronter ; celle qui verra nos mémoires vides errer sans but dans un désert aride. Cette bataille c’est la seule qui compte parce qu’elle ne se livre pas contre d’autres groupes, contre d’autres communautés mais avec tous ceux qui, sans se renier, acceptent de construire ensemble le sens de ce qui les unit.
Du « à quoi bon ! » au « après moi le déluge ! » il n’y a qu’un pas que nous franchissons chaque jour allégrement en nous vautrant dans la prévisibilité d’un audiovisuel débile, en nous abandonnant à l’aléatoire dangereux du Web, en acceptant que notre école devienne une machine de reproduction sociale, en tolérant que nos politiques insultent quotidiennement notre intelligence, enfin en laissant abîmer le sacré jusqu’à en faire un masque hideux. Et nous livrons ainsi nos propres enfants à l’inculture et aux ombres trompeuses.
À ceux qui sont contraints de confier trop tôt leurs tout-petits à l’institution sans oser se poser la question essentielle de l’attachement ; à ces jeunes livrés à un monde dangereux sans qu’on leur ait donné la formation intellectuelle nécessaire pour en dénoncer les mensonges ; à ceux qui, cachés derrière leur écran, n’osent plus regarder l’Autre dans les yeux ; à ceux qui, prisonniers de l’entre-soi, sont terrorisés par l’inconnu et exaspérés par le différent ; à ceux que l’hypocrisie, la bêtise et la barbarie ont détournés de l’idée même du spirituel ; enfin, à tous « ceux que l’on foule aux pieds ».
À tous, ce livre est dédié !
Alain Bentolila.
Comment sommes nous devenus si cons ?
First, 2014.