Extraits philosophiques

Le petit rouge

Le Petit Chaperon rouge ou la rencontre de l’inconnu
Il était une fois une petite fille qui vivait avec sa mère à la lisière d’une forêt. Son bonnet rouge qui lui seyait si bien lui avait donné son surnom : le Petit Chaperon rouge.
Sa mère lui proposa un matin d’aller voir sa grand-mère, souffrante, et de lui porter des galettes qu’elle venait de cuire accompagnées d’un petit pot de beurre. Il lui fallait pour cela traverser seule la forêt. C’est un moment extraordinaire qui advient, je l’espère, au sein de toutes les familles, quand une mère autorise enfin sa fille, ses enfants, à aller dans le monde, à l’aventure de la vie !
Le Petit Chaperon rouge est tellement heureuse qu’elle ne perçoit pas le danger quand elle est abordée par le loup, c’est-à-dire par l’inconnu, l’autre, l’altérité que l’on a toujours envie de rencontrer malgré la peur qu’elle nous inspire et à condition de dominer cette peur. Ce double mouvement, de fascination et de crainte, se voit bien chez les enfants qui ont peur du loup mais redemandent des histoires de loups, y compris avant de s’endormir. Ils en sont passionnés. D’ailleurs, le Petit Chaperon rouge confie sa destination au loup, comme si elle lui donnait rendez-vous pour le revoir. Puis elle choisit le chemin le plus long jusqu’au village de sa grand-mère. De surcroît, elle prend le temps de l’explorer, de cueillir des fleurs, de courir après les papillons.
Le loup, lui, prend le chemin le plus court et se dépêche d’arriver chez la grand-mère, se jette sur elle, la dévore et s’installe dans son lit en attendant l’arrivée de la suite de son festin : la fillette.
Quand celle-ci arrive, elle se glisse dans le lit à côté de ce qu’elle croit être sa grand-mère, mais elle est étonnée des changements advenus dans son apparence. « Grand-mère, vous avez de grands bras ! — C’est pour mieux t’embrasser, mon enfant », répond le loup. « Vous avez de grandes oreilles ! — C’est pour mieux t’écouter mon enfant. — Vous avez de grands yeux ! — C’est pour mieux te voir, mon enfant. — Vous avez une grande bouche… »
Ici, les versions divergent.
Dans la version de Perrault, la plus moralisatrice, le loup dévore le Petit Chaperon rouge, en quelque sorte punie pour ne pas avoir respecté la loi des adultes.
Dans la version de Grimm, un chasseur arrive, tue le loup et libère de son ventre la grand-mère et la fillette qui n’avaient pas encore été digérées. C’est donc l’homme qui va sauver ces deux femmes étourdies.
Dans les versions orales qui leur sont antérieures, la fin de l’histoire est beaucoup plus surprenante. En effet, à un moment, le Petit Chaperon rouge flaire le danger et s’exclame : « Je veux faire pipi ! » Le loup lui propose de faire pipi au lit, elle est horrifiée et demande à sortir pour se soulager. Il accepte mais l’attache par une corde afin qu’elle ne s’enfuie pas. Maligne, le Petit Chaperon rouge dénoue la corde, l’attache à un arbre et s’enfuit en courant. Elle se libère donc seule, sans avoir besoin de l’intervention d’un homme, le chasseur.
Ce conte initiatique illustre le jeu passionnant de la vie face à l’inconnu. Cet inconnu qui nous inquiète, qui peut nous dévorer, mais qui en même temps nous fascine et que nous avons envie d’approcher pour le découvrir, avec un mélange d’intérêt et de crainte.
Le réel, c’est toujours l’inconnu. Chaque nouvelle situation que nous affrontons nous fascine et nous terrifie à la fois : un nouveau travail, un déménagement, cette soirée ou cette réunion où l’on ne connaît personne, cette prise de parole en public que l’on nous demande. Nous ressentons un danger, mais peut-être qu’il n’y a pas de danger, et c’est ce qui est jouissif dans la vie : nous adorons aller à la rencontre du loup, l’explorer, et si nous ne nous laissons pas tétaniser, nous saurons surmonter le danger s’il existe.
Cependant, soyons vigilants, comme le Petit Chaperon rouge. Allons à l’aventure, réjouissons-nous de cette aventure, explorons-la, mais sachons conserver la capacité de dire non quand cet inconnu, quand cette aventure menacent notre intégrité.

Fabrice Midal.
Les princesses ont toujours raison.
Flammarion, 2023.

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