Extraits philosophiques

Véhicules électriques

Le vrai coût des véhicules électriques
Considérons quand même la possibilité d’un découplage, la constance des investissements verts dans un objectif de croissance, et l’élargissement du marché qui en résulterait. Que se passerait-il alors dans ce cas ? Je vais prendre l’exemple des véhicules électriques, tels que ceux produits par Tesla, pour illustrer mon propos.
Nous sommes d’accord sur le fait qu’aujourd’hui les véhicules à essence émettent une quantité massive de dioxyde de carbone dans le monde. C’est pour cela qu’il est particulièrement urgent d’introduire des véhicules bas-carbone, et de voir les États soutenir le plus possible ce mouvement. On peut dire la même chose pour le passage aux énergies renouvelables et aux économies d’énergie.
Si nous venions à remplacer la totalité de la flotte de véhicules à essence par des véhicules électriques, nous verrions alors la naissance d’un marché gigantesque et la création d’un nombre tout aussi important d’emplois. Et grâce à cela, nous aurions résolu aussi bien le problème du climat, mais également la crise économique. C’est ça le rêve du keynésianisme climatique. Mais l’ennui, c’est que dans la réalité, les choses ne sont pas si faciles.
Le cœur du problème est la batterie lithium-ion, le résultat du travail d’Akira Yoshino qui lui a valu le prix Nobel de chimie en 2019. Cette technologie est indispensable non seulement à nos téléphones ou ordinateurs portables, mais également à nos véhicules électriques. Cependant, la fabrication de ces batteries demande une quantité extraordinaire de ce que l’on appelle des terres rares.
Il faut d’abord du lithium. La plus grande partie du lithium mondial est enfouie dans les régions situées le long de la cordillère des Andes. Le Chili, où se trouve le salar (dépôt salin) d’Atacama, en est un important producteur.
Ici, le lithium s’accumule dans les eaux souterraines de zones sèches sur de très longues périodes. Ces eaux qui contiennent le lithium sont pompées de ces sous-sols salés, et elles sont ensuite évaporées pour en extraire le lithium. En d’autres termes, l’extraction du lithium, c’est finalement un peu comme un gros système de pompage d’eaux souterraines.
Le problème, c’est le volume. Un seul site d’extraction peut pomper 1 700 litres à la seconde. Si l’on n’a pas oublié que les régions concernées sont déjà très sèches, il est difficile de ne pas imaginer l’impact de ce pompage sur l’écosystème.
Pour prendre un exemple, le déclin observé de la population de flamants des Andes serait lié au fait qu’ils s’alimentent de crevettes dont ces eaux sont l’habitat. D’une manière similaire, le pompage rapide des eaux souterraines entraîne une réduction de la quantité d’eau douce à laquelle la population locale a accès13. L’exploitation du lithium en Argentine produit des phénomènes identiques. Finalement, les mesures pour lutter contre les changements climatiques mises en place par les pays développés ne font que remplacer le pétrole par une autre ressource limitée qui est extraite et volée de manière encore plus brutale dans les pays du Sud. Mais là encore, le déplacement spatial permet une invisibilisation du phénomène.
Un autre élément est indispensable aux batteries lithium-ion : le cobalt. Ici aussi, le problème réside dans le fait qu’environ 60 % du cobalt est extrait en République démocratique du Congo, l’un des pays africains les plus pauvres et les plus instables de la planète sur le plan politique et social.
La méthode d’extraction du cobalt est simple : le cobalt étant enfoui sous la terre, il est extrait du sol avec des machines lourdes et du travail humain. Pour répondre à la demande mondiale, l’exploitation minière à grande échelle et son expansion entraînent non seulement la destruction des paysages naturels, mais également la destruction de l’environnement par la pollution des eaux et des cultures, sans même parler des terribles conditions de travail.
Dans le sud du Congo, on appelle « creuseurs » les esclaves et les enfants de plus en plus nombreux qui travaillent dans ces mines de manière illégale. Ces creuseurs utilisent des outils primitifs tels que des burins et des marteaux pour extraire à la main le cobalt. On y voit des enfants de 6 ou 7 ans qui ne touchent pas plus d’un dollar par jour.
Les mesures de sécurité prises pour les tâches dangereuses d’extraction dans les tunnels sont absolument insuffisantes. Il arrive que les creuseurs passent vingt-quatre heures sous terre où ils travaillent en respirant des substances toxiques susceptibles de causer maladies respiratoires, cardiaques et bien sûr mentales14. Dans le pire des cas, ils sont enterrés vivants lors d’accidents. La communauté internationale a déjà condamné à plusieurs reprises les exploitations à la suite de morts d’enfants.
À l’autre bout de la chaîne d’approvisionnement mondiale se trouve bien sûr Tesla, mais également Microsoft ou Apple. Il est impossible que les dirigeants de ces entreprises ne connaissent pas les conditions de production du lithium et du cobalt. Des actions en justice ont été menées aux États-Unis par des groupes de défense des droits de l’homme15, mais malgré cela, ces dirigeants continuent à proclamer sans paraître concernés qu’ils promeuvent les ODD grâce à l’innovation technologique.

Saitō, Kōhei.
Moins ! La décroissance est une philosophie.
Seuil, 2024.

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