Idées noires
L’athée qui côtoyait ses dieux.
J’existe, je l’ai rencontré.
Commençons ce récit juste après la moitié des années 1970.
J’échappe le plus possible à la vie scolaire en dessinant pour les émissions de jeune à la télé belge et pour des fanzines et journaux rock.
Complètement fan de bande dessinée, je suis tout de même un peu tiraillé par la musique rock ( qui me semble à l’époque susceptible d’attirer plus d’admiratrices : les groupies de BD se font rares ).
En rembobinant un poil, voici un des premiers chocs de mon début de vie : Walt Disney est à l’autre bout de la planète, mais les dessinateurs de série dont je suis fan dans Spirou sont tous belges, comme moi.
Quasiment des voisins ! En plus, dans la cour de récré du collège Saint Pierre, je rencontrais Thierry Culliford et on devient très ami (même s’il est plus porté sur le foot que sur la bédé). Le papa de Thierry, c’est Peyo, dont les copains et collègues sont Franquin, Roba, Morris… autant dire l’école de Marcinelle. Je côtoie des dieux vivants. Traumatisant pour un gamin qui a toujours rêvé de faire de la bédé.
Tous ces dieux sont restés très simples et accessibles. Un jour, j’organise dans mon école une petite causerie sur la bédé avec Franquin, Peyo, Walthéry, Paepe qui se sont déplacés gentiment, sans chichis, pour répondre aux questions des élèves. Une chose à peu près inimaginable aujourd’hui mais qui s’est révélé assez courante à l’époque. C’est ce jour-là que j’ai vaincu ma timidité pour oser péniblement baragouiner à Franquin que j’adorais ses « horribles dessins ». Je voulais parler des monstres qu’il dessinait pour s’amuser. Il ne l’a pas mal pris et s’est mis à rire bruyamment comme il savait le faire. Il m’a fait un joli monstre. Suite à cela, Roba lui aussi dessina un monstre sur une nappe de restaurant…
Parmi les amis de Peyo, il y en avait un qui sortait du lot : Ivan Delporte. Nettement plus foufou que les autres. Vraiment marginal, différent. On rigolait bien avec lui. Un moment, on se quittait plus.
Plus tard je me suis rendu compte qu’il avait carrément fait mon éducation, vu qu’il était le rédacteur en chef du journal de Spirou dont j’étais « un petit lecteur » assidu. Ivan Delporte était très pote avec Franquin, et ce n’était pas toujours rassurant pour Liliane, qui voulait protéger son mari de cet hurluberlu marginal (qui notamment avait plein de copains qui jouaient des drôles de cigarettes et fumait du jazz à moins que ce soit le contraire.)
Frédéric Jannin.
Idées noires.
Fluides Glacial, 2017.