Malade imaginaire
La victoire posthume de Béline
« Il faut faire mon testament, m’amour, de la façon que monsieur dit ; mais, par précaution, je veux vous mettre entre les mains vingt mille francs en or que j’ai dans le lambris de mon alcôve, et deux billets payables au porteur, qui me sont dus, l’un par monsieur Damon, et l’autre par monsieur Gérante.
-Non, non, je ne veux point de tout cela. Ah !… Combien dites-vous qu’il y a dans votre alcôve ?
-Vingt mille francs, m’amour.
-Ne me parlez point de bien, je vous prie. Ah !… De combien sont les deux billets ?
-Ils sont, ma mie, l’un de quatre mille francs, et l’autre de six.
-Tous les biens du monde, mon ami, ne me sont rien au prix de vous. »
Molière, Le Malade imaginaire
Nul ne sait si Læticia a lu Molière, mais peut-être Molière a-t-il lu Læticia.
Jusqu’à nouvelle décision, Læticia Hallyday est l’unique légataire de l’ensemble du patrimoine et des droits d’artiste de Johnny Hallyday. Et ce, aux dépens de Laura Smet et David Hallyday, qui ont décidé de mener toutes les actions de droit pour que le testament, en l’état, ne soit pas appliqué. Une telle histoire est vieille comme les familles, et la littérature regorge de ces guerres entre la belle-mère et les enfants.
Dans Le Malade imaginaire (la dernière pièce de Molière), le vieil Argan, qui se croit toujours malade et sur le point de trépasser, épouse en secondes noces – et, croit-il, pour son bonheur – la très jolie Béline, et entre eux ils s’appellent « m’amours 1 ».
« Qu’avez-vous, mon pauvre mari ? Qu’est-ce que c’est donc qu’il y a, mon petit-fils ? – M’amour, on vient de me mettre en colère. – Hélas ! pauvre petit mari ! Comment donc, mon ami ? »
Béline, qui ne se sépare jamais de son notaire (au cas où), déborde d’attentions spectaculaires pour son mari, le couvre d’amour, de caresses, de flatteries, lui met des oreillers sur la tête et lui enfonce son bonnet jusqu’aux oreilles dans l’espoir que ça l’étouffe un peu, qu’il meure enfin, et qu’elle puisse tout récupérer. Et elle manipule si bien Argan que, convaincu de mourir bientôt, ce dernier décide, en toute conscience, de modifier son testament pour faire d’elle son unique héritière : « Ma femme m’avait bien dit, monsieur [le notaire], que vous étiez fort habile et fort honnête homme. Comment puis-je faire, s’il vous plaît, pour lui donner mon bien et en frustrer mes enfants ? »
Mais Béline est démasquée.
Contrairement à d’autres, elle commet deux erreurs : la première est de croire que la servante, Toinette, est dans son camp, alors que cette dernière travaille en vérité pour Angélique, la fille d’Argan, dont Béline voudrait se débarrasser en l’envoyant au couvent.
Sa seconde erreur est de croire que M’amour est vraiment malade.
Or, Argan n’est malade que dans sa tête (les hypocondriaques ont raison, d’ailleurs, de croire qu’ils sont malades puisque le fait de croire qu’on est malade quand on ne l’est pas est une maladie… mais pas mortelle).
Sous les conseils de Toinette, Argan contrefait sa propre mort, afin de voir qui, de sa femme ou de sa fille, l’aime davantage, et aussitôt le masque tombe, la réaction de Béline est sans appel : « Quelle perte est-ce que la sienne, et de quoi servait-il sur la Terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, mouchant, toussant, crachant toujours, sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur… Il y a des papiers, il y a de l’argent, dont je veux me saisir, et il n’est pas juste que j’aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années… »
Et voilà. Exit m’amour, bon débarras. Happy end.
Ici-bas, c’est une autre histoire.
Raphaël Enthoven.
Nouvelles morales provisoires.
Humensis, 2019.