
Autour de Hegel
L’altruisme intéressé et la réciprocité généralisée
Les simulacres de l’altruiste sont légion. On peut faire le bien d’autrui dans l’attente calculée d’une contrepartie, dans le désir d’être loué ou d’éviter le blâme, ou encore pour soulager le sentiment d’inconfort ressenti devant la souffrance d’autrui. L’« altruisme intéressé » est lui une mixture d’altruisme et d’égoïsme. Ce n’est pas une façade hypocrite, puisqu’il tend sincèrement à contribuer au bien d’autrui, mais il reste conditionnel et ne s’exerce que dans la mesure où il contribue également à nos propres intérêts.
Les êtres humains acceptent volontiers de se rendre mutuellement des services et, tout en veillant à leurs intérêts, utilisent ces services rendus comme une monnaie d’échange. Les échanges commerciaux équitables, les pratiques d’échange dans les sociétés traditionnelles, le don et contre-don, en sont des exemples. Cette pratique est compatible avec le respect d’autrui, dans la mesure où l’on agit de manière équitable et que l’on veille à ne nuire à personne. L’altruisme intéressé n’est donc pas nécessairement trompeur. Néanmoins si un acte profitable à un individu a été accompli dans l’intention d’en retirer un bénéfice, on ne peut le qualifier d’altruisme pur. De plus, faute d’être animée par une attitude bienveillante, la simple pratique de l’échange finit souvent dans la méfiance, la dissimulation, la manipulation, voire l’hostilité.
L’altruisme intéressé peut aussi relever de l’égoïsme pur et simple. Comme l’observait La Rochefoucauld : « Nous nous persuadons souvent d’aimer les gens plus puissants que nous, et néanmoins c’est l’intérêt seul qui produit notre amitié. Nous ne nous donnons pas pour le bien que nous leur voulons faire, mais pour celui que nous voulons recevoir151. » L’altruiste ne serait-il qu’un « égoïste raisonnable » pour reprendre l’expression de Remy de Gourmont ? Sommes-nous incapables de faire mieux ?
MAtthieu Ricard.
Plaidoyer pour l’altruisme.
Robert Laffont, 2013.


